Un grand art de la rue

Dans Le rap français – Dix ans après Anthologie paru aux Éditions de la Table Ronde à Paris, le journaliste littéraire et musical français Jean-Claude Perrier fait le point sur les textes d’un art de la rue qui, au fil du temps, a conquis ses lettres de noblesse et s’est parfois élevé au rang de poésie pure.

Né dans les soubresauts d’un malaise social ayant engendré une violence omniprésente (à l’école, à l’hôpital et dans la cité) sur fond de racisme, de fanatisme religieux et de communautarisme, le rap a navigué sur les vagues de la crise, mené par trois nautoniers insubmersibles, MC Solaar, IAM et NTM, chacun chantre à sa manière des lames de fond de l’histoire urbaine contemporaine.

C’est ce que montre avec justesse l’ouvrage de Jean-Claude Perrier qui, tout en rassemblant des textes d’artistes consacrés, s’ouvre à ceux de nouveaux talents prometteurs comme Oxmo Puccino, Passi ou Busta Flex.

PÉTRONE

Le rap français – Dix ans après Anthologie par Jean-Claude Perrier, deuxième édition revue et corrigée, Paris, Éditions de la Table Ronde, collection « La petite vermillon », janvier 2010, 412 pp. en noir et blanc au format 11 x 18 cm sous couverture brochée en couleurs, 10 € (prix France)

Pour vous, nous avons recopié dans cet ouvrage aux accent contemporains le texte suivant, de MC Solaar :

LA CONCUBINE DE L’HÉMOGLOBINE

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Balancer des rafales de balles et faire des victimes

Dans les rangs des descendants d’Adam

C’est accablant, troublant, ce ne sont pas des balles à blanc.

On envoie des pigeons défendre des bombes

Le Dormeur du Val ne dort pas,

Il est mort et son corps est rigide et froid.

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Chez les Vietmins au Vietnam, sous la forme de mines et de napalm

Parce que la science nous balance sa science

Science sans conscience égale science de l’inconscience

Elle se fout du progrès, mais souhaite la progression

De tous les processus qui mènent à l’élimination.

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Morne comme l’automne, un printemps en Chine.

Ça c’est assez, passé, assez gâché, cassé

La porcelaine de peine, qu’est la colombe de la paix

L’art de la guerre tue des jeunes bambins,

L’œuvre de Kim Song Man reste sur sa fin

La guerre niqua, Guernica

Et comme le pique-assiette, Picasso la repiqua

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

En campagne électorale dans les magazines

Jovial, mais bancal, le politicien s’installe

Comme le dit I’AM : « C’est un hold-up mental ».

Je les dose avec le prose combat

Pose avec le mic, le mic est devenu ma tenue de combat

J’aime la politique quand elle a assez de vocation

Pour lutter contre les processus qui mènent à l’élimination.

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Dans ma lutte économique, Kalach-M16

L’opinion s’aperçoit vite qu’il y a des malheureux,

Quand le sol vire au rouge viennent les casques bleus

Le SOLAARSENAL est équipé de balles vocales,

Face au sol-sol, sol-air, Solaar se fait radical

Constate le paradoxe du pompier pyromane, hum

C’est comme si la maffia luttait contre la maffia

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Se faire belle comme des voûtes de la chapelle Sixtine

Pour l’alphabétisation des néo-fachos, à froid ou à chaud

Avant le bachot, ils souhaitaient le cachot, va revoir Dachau

Tel est le b-a ba de l’ABC du jeune facho

C’est la horde aux ordres d’un nouvel ordre.

Un peu partout dans les villes du globe, les crétins tissent leurs cordes

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Elle aime la prolactine et les black smokings

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

J’ai vu la concubine de l’hémoglobine

Voici un extrait de mes pensées profondes,

Ma guerre des nerfs parce que l’ignorance est le nerf de la guerre,

On nous dit, Dieu est lumière, nous sommes tous frères,

Mais on constate que la lumière est éteinte,

Je souhaite que nous ne fassions plus les mêmes erreurs,

C’est dur à dire, mais…

J’ai peur.

Date de publication
jeudi 26 septembre 2013
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