« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Rabelais)

Les Éditions Les Belles Lettres à Paris ont fait paraître ces jours-ci la traduction française de Hitler et les professeurs, un essai historique remarquable et inégalé paru en 1946 à New York en yiddish puis en anglais sous la plume de l’éminent linguiste juif Max Weinreich (1894-1969).

Écoutons l’éditeur :

« Dans cet ouvrage, Max Weinreich s’attache à montrer que « la science allemande a fourni les idées et les techniques qui ont conduit à un massacre sans précédent et l’ont justifié » (Hannah Arendt, Commentary). Et ceci non seulement à partir de la prise du pouvoir de Hitler en 1933, sous la férule d’un régime autoritaire, mais dès les années 1920, par la manipulation idéologique des discours érudits des différentes disciplines.

Le livre se partage en deux parties, la première qui traite de la « planification et de la préparation », et qui va jusqu’à la guerre, la seconde qui s’intitule « expérimentation à grande échelle ». C’est dire que Weinreich relie directement le soubassement théorique élaboré par l’élite intellectuelle allemande et la mise en œuvre pratique de l’extermination à l’échelle européenne. L’étude montre tout d’abord comment le régime nazi a travaillé sans relâche à la conquête des universités et des universitaires, établissant de nombreux instituts scientifiques ad hoc, afin de fonder, mener et justifier sa  » solution de la question juive « .

Bien avant que certains de ces instituts deviennent des officines du ministère de la Propagande du Reich sous la houlette de Goebbels, des penseurs allemands, des professeurs et des savants se sont jetés avec enthousiasme dans ce processus d’élaboration idéologique qui est devenu une arme aux mains du régime nazi. Une des parties de cette étude apporte aussi un éclairage sur les institutions de recherche anti-juive créées sur le modèle allemand en Italie, France, Lituanie, Croatie, Danemark et Hongrie.

Max Weinreich insiste sur le rôle joué par ces constructions pseudo-scientifiques lorsque commencent les massacres de masse des populations juives qui accompagnent l’invasion de l’Union soviétique en juin 1941. Max Weinreich a examiné des milliers de documents qui ont été ramenés dès les premières victoires des Alliés au YIVO, acronyme yiddish du Yiddisher visnshaftlekher institut, institut de recherche consacré à l’étude de la vie juive en Europe de l’Est ainsi qu’à la langue et la culture yiddish, qui ouvre en 1925 à Vilna et sera réinstallé à New York à partir de 1939. Certains d’entre eux étaient classés confidentiels, d’autres étaient des écrits largement publiés et diffusés, dont 5 000 publications allemandes du temps de guerre.

L’appareil critique du livre fait apparaître l’océan bibliographique de la science raciale nazie, élaborée par des sommités universitaires travaillant d’arrache-pied et se répandant dans une multitude de publications à prétention scientifique. Tout au long de l’étude, Weinreich cite un nombre impressionnant de textes issus de toutes les disciplines des sciences humaines et des sciences naturelles : anthropologie physique et culturelle, philosophie, histoire, droit, économie, géographie, démographie, théologie, linguistique, médecine, biologie, physique.

Le travail de Max Weinreich révèle aussi à quel point l’objectif suprême de la « solution de la question juive » a toujours été placé par les dirigeants nazis et les factions qui s’affrontent à travers différents instituts et organes de presse, notamment les différends entre Walter Frank et Alfred Rosenberg, au-dessus des luttes pour le pouvoir qui les divisent, anticipant en cela les travaux d’historiens ultérieurs.

Pionnier de la recherche sur le rôle des élites intellectuelles allemandes dans la construction des théories raciales, le livre de Weinreich est également resté indépassé par l’ampleur de la documentation examinée. Certaines de ses conclusions ont été présentées et utilisées lors des procès de Nuremberg. Elles anticipent aussi les travaux d’historiens ultérieurs. »

Un livre habité de passion et de colère, certes, mais ô combien justifiées !

PÉTRONE

Hitler et les professeurs par Max Weinreich, Paris, Éditions Les Belles Lettres, traduit de l’anglais et de l’original yiddish par Isabelle Rozembaumas, avant-propos de Samuel Kassow, préface de Sir Martin Gilbert, août 2013, 393 pp. en noir et blanc au format 16 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 25,50 € (prix France)

Date de publication
jeudi 26 septembre 2013
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